Le Groupe MCM selon Domenico Morano
La Plaine que vous n’attendez pas : à Cittanova des distributeurs hi-tech pour les multinationales du guichet électronique (ATM)
À Cittanova, un petit bourg peuplé qui domine de son point le plus élevé la Piana di Gioia Tauro, on arrive en empruntant l’Autoroute du Méditerranée jusqu’à Rosarno, en croisant des camions remplis d’oranges. Une abondance qui ne suffit plus, qui ne paie plus, et qui ne fait plus la richesse de cette terre et de ses habitants, qu’ils soient résidents ou réfugiés.
En alternative, on peut rejoindre le centre depuis la côte ionienne, en parcourant un tronçon de la route nationale 106, en coupant à travers l’Aspromonte, au-delà du col de la Limina en direction de la mer Tyrrhénienne jusqu’à la sortie de Polistena : en arrière-plan, les grues du port, Vulcano et les îles Éoliennes.
Pour atteindre la zone industrielle (le centre habité est sur la droite du torrent Serra), on longe des agrumeraies et des oliveraies séculaires. À terre, pourries, un tapis d’oranges. Et aussi un cimetière d’entreprises. Elles n’ont pas tenu, écrasées par la crise, la criminalité, un État pour le moins distrait ou l’incapacité de certains « entrepreneurs » rusés, à la chasse aux subventions et rien de plus.
Les entreprises qui résistent
Mais il existe également des entreprises qui, comme les oliviers aux racines les plus robustes, résistent, grandissent et portent leurs fruits. C’est le cas de celle de Domenico Morano, ingénieur mécanicien à la tête de « McmCostruzioni », précisément le genre d’entreprise que l’on ne s’attend pas à trouver dans la province de Reggio Calabria. Elle produit des systèmes de sécurité pour les distributeurs automatiques de billets et les caisses automatiques des banques et des bureaux de poste de toute l’Italie. Leurs clients ? NCR, Diebold, Wincor, les trois multinationales leaders mondiaux du marché des ATMs (Automated Teller Machine), qui fournissent les plus grands groupes bancaires.
Le Réseau Antiracket
Dans la composition de la société, on trouve aussi l’architecte Maria Teresa, la sœur de Domenico, responsable pour la Calabre du projet Rete Antiracket (un accord entre la Fédération des associations Antiracket italiennes et le ministère de l’Intérieur) et conseillère de Trame, la fondation qui organise depuis des années le Trame Festival à Lamezia Terme, un événement culturel dédié aux livres contre les mafias et contre le mur de l’omerta. Maria Teresa Morano poursuit la bataille entamée dans les années 90 par son père Girolamo, victime de tentatives d’extorsion. C’est lui, avec 12 entrepreneurs de Cittanova, qui a fondé l’Acipac, la première association calabraise de commerçants, d’entrepreneurs, de professionnels et d’artisans de Cittanova (aujourd’hui plus de 80), pour combattre les intimidations et représailles, et s’opposer aux pressions des clans, en se portant partie civile dans les procès.
MCM, parmi les premières en Italie
Le secteur de la sécurité bancaire est l’un des rares ces dernières années à ne pas craindre la crise. L’innovation technologique a accru les services au client mais aussi les risques d’attaques physiques (passives) et logiques (actives) contre les systèmes informatiques et de paiement des banques.
C’est ainsi que MCM, d’entreprise artisanale avec des produits à faible valeur ajoutée (elle fabriquait des machines agricoles), est devenue une réalité industrielle qui propose aujourd’hui des dispositifs à fort contenu innovant. Un tournant rendu possible aussi grâce aux financements de la loi 488/92. Avec Domenico, un concentré de préparation, d’enthousiasme et de pragmatisme visionnaire, l’entreprise, qui possède également un site à Garlasco, s’est positionnée parmi les premières du secteur en Italie, avec un chiffre d’affaires d’environ 2,3 millions d’euros, dont 20% réalisé grâce aux exportations en France, Allemagne, Hongrie. Vingt employés, parmi lesquels de très jeunes diplômés de l’ITIS « Conte Milano » de Polistena, un institut industriel à la pointe, fierté de toute la province : atelier mécanique, maison domotique, planétarium, 4 filières de spécialisation. Un énième facteur qui explique l’avantage dont jouit cette réalité d’excellence tout au Sud.
De Girolamo à Domenico, 50 ans d’histoire
Dans les années 60, Girolamo Morano travaille comme forgeron. À cette époque, il y a des centaines de moulins à huile dans la Plaine, et il construit des machines agricoles trieuses pour le nettoyage des olives. Le changement de cap arrive en 2003 avec Domenico, et le choix s’est fait par hasard. C’est à lui qu’en revient le mérite de l’avoir saisi. « À l’époque, j’avais une société de conseil, j’habitais à Gênes et je ne pensais pas revenir en Calabre pour faire le métier de mon père, raconte-t-il. Quand j’étais petit, nous habitions à Turin. Puis un jour mon père décida de rentrer à Cittanova avec la famille. À l’époque, je n’ai pas compris son choix, et dès que j’ai pu, je suis parti. L’université a été le prétexte. J’ai aussi travaillé comme assistant à la faculté d’Ingénierie de l’université de Gênes et j’ai créé une société de conseil. Jusqu’au jour où un de mes clients m’a signalé un problème : il avait urgemment besoin de grandes plaques de fer pour fixer des distributeurs automatiques de billets. » Et là, une illumination : « La pièce ne demandait pas un grand travail, mais pour une grande entreprise, c’était une demande complexe. À ce moment-là, j’ai pensé à l’atelier de mon père et à comment résoudre le problème sans trop de questions. En une semaine, la commande était déjà livrée. Et j’ai recommencé, j’ai remis en jeu mon travail, ma vie, et j’ai compris le choix fait des années auparavant par mon père. J’ai enfin compris son point de vue, qui est ensuite devenu le mien. »
Les dispositifs pour la sécurité bancaire
Le bureau technique est le moteur d’où part chaque nouveau projet, des produits les plus complexes et brevetés aux solutions simplement amélioratives. De là à l’atelier, le pas est bref. « L’avantage par rapport à d’autres concurrents, explique l’ingénieur, vient du savoir-faire et de la flexibilité du processus. Nous réussissons à concevoir, prototyper et passer en production à un rythme soutenu, en optimisant la capacité productive. » Morano décrit méticuleusement les projets qui les ont fait connaître et grandir sur le marché italien.
Comme l’Anti Cash Trapping ou le Sop box (intelligent), un mécanisme appliqué aux distributeurs automatiques qui empêche de piéger les billets, ou le dispositif antiskimmer, contre la lecture et la copie frauduleuse des cartes bancaires. En parlant de recherche industrielle, il est nécessaire de partir de l’étude des problématiques et des cas d’attaques auxquelles les systèmes peuvent être soumis. La dernière image arrivée sur son ordinateur montre ce qu’il reste d’un guichet après une forte déflagration. « Le plus grand danger, dans ces cas, ne concerne pas tant l’argent volé, explique-t-il, mais la stabilité des immeubles touchés par l’attaque. »
Nouveaux projets pour les commerces
À côté de lui, Giorgio, un très jeune ingénieur mécanicien que Domenico a convaincu de revenir en Calabre. Au bureau aussi Giuseppe, un tout récent diplômé de l’Institut technique industriel voisin, à qui il enseigne le métier. Crayon et cahier sur la table pour les esquisses et les calculs les plus simples, et sur l’ordinateur un logiciel sophistiqué de conception 3D.
En ce moment, un modèle particulier de caisse pour le paiement en espèces dans les commerces est à l’étude : un dispositif électronique et une solution mécanique ad hoc permettront d’éviter à l’employé, surtout pour des raisons d’hygiène, le contact direct avec l’argent liquide. « C’est la tendance du futur proche. Ainsi, le mécanisme devient plus intelligent et plus sûr », ajoute l’ingénieur.
Les usines (l’une est au Nord)
Dans l’usine, on expose les divers prototypes des systèmes de sécurité réalisés et diffusés dans toute l’Italie. Ils sont là pour prouver leur efficacité, mais aussi pour en imaginer de meilleurs en des temps toujours plus courts. Le secteur de la sécurité bancaire exige des mises à jour continues. Le risque d’obsolescence des programmes et des outils se traduit, pour l’institution, par une plus grande probabilité d’être la cible d’attaques.
Ces jours-ci, l’entreprise tourne à plein régime : il y a une importante livraison pour un grand institut bancaire national. Chaque semaine, depuis 2010, un camion part pour l’usine lombarde de Garlasco pour le montage, le stockage et la distribution des produits, et si nécessaire pour l’installation. Le soudeur le plus ancien, Francesco, se reconnaît même avec le masque de protection : il a 40 ans d’expérience, il se déplace avec assurance, dirige l’atelier, contrôle le travail automatisé des installations et le travail manuel des autres ouvriers, en particulier les plus jeunes, comme Marco et Dylan.
« Depuis que j’ai pris l’entreprise en main, beaucoup de choses ont changé, poursuit l’entrepreneur. J’ai dû renforcer la partie conception, insister sur la recherche et le développement, reconfigurer la disposition des installations, améliorer l’ensemble du processus productif. Ici, dans l’arrière-pays, il n’y avait aucune entreprise à laquelle m’approvisionner ou confier une partie de la fabrication des composants pour les distributeurs que je produis. » Un désavantage contextuel qui lui a offert l’occasion de se distinguer et de devenir indépendant, le contraignant à internaliser toutes les phases de la production (à l’exception de la seule partie électronique). Aujourd’hui, grâce aux machines à commande numérique, à l’installation de découpe laser, à la cellule robotisée de soudage, à l’installation de peinture en poudre, il peut dire qu’il a tout sous contrôle. Ou presque.
Pourquoi en Calabre ?
« Dans la zone, la fibre manque encore, les infrastructures et, en général, les services ne sont pas suffisants. Mais la vie ici est incomparable. J’ai vécu de nombreuses années hors région, au Nord, et je m’y suis bien trouvé. En Calabre, cependant, je me donne la possibilité de mieux vivre : j’ai mon travail et, malgré les difficultés, j’arrive à le gérer selon mes attentes et les valeurs que j’ai héritées ; je le concilie aisément avec les besoins de ma famille, car j’habite à 10 minutes de l’usine, je suis entouré d’un paysage magnifique dont j’essaie de profiter pleinement. » Sa passion ? Les balades à vélo avec ses trois enfants sur les chemins de terre dans les collines, sur l’Aspromonte.
Par Annamaria Crupi